La Yuki Onna : cœur de glace ou fantôme esseulé ?

Parmi les Yōkai féminins, certaines sont plus connues que d’autres… La Yuki Onna fait partie de mes Yōkaux préférées, car en plus de bénéficier d’une aura de magie et de mystèew, elle est esthétiquement très marquée. Point Bonux, on lui retrouve des similitudes dans de nombreuses autres cultures, traditionnelles mais également plus modernes.

La femme des neiges japonaise

En Europe, rencontrer un monstre au cœur de la montagne nous évoquera plutôt un Yéti (ou un Dahut) mais au Japon, on s’attend à rencontrer la Yuki Onna ! Pour y parvenir, il vous faudra rassembler un certain nombre de contraintes : voyager dans une des régions au nord du Japon, dans des montagnes enneigées, en pleine nuit, et il vous faut être perdu, ou perdue. Oui, ça fait beaucoup, mais la rencontre en vaut la chandelle – sinon le risque de ne jamais revenir de ce voyage.

Si la Yuki Onna apparaissait dans une situation où elle pourrait vous effrayer, tout homme serait – selon la légende – subjugué par sa beauté, ses longs cheveux noirs, ses yeux violets envoûtants et sa peau pâle qui en font un objet de peur autant que de convoitise. Nombreux sont ceux qui finissent par épouser la Yuki Onna… à leurs dépens.

Une fois pleinement intégrée dans la vie humaine, le Yōkai passe son temps à cacher son identité pour vivre une vie calme auprès de l’homme qu’elle a choisi. Mais si par malheur celui-ci découvre qui elle est vraiment, elle se fondra dans la nuit pour ne jamais revenir (elle part d’ailleurs souvent avec les enfants, tant qu’à faire).

Contes et légendes japonaises : un monde hétéro-centré

On reconnaît volontiers le côté très « un homme épouse une femme et a des enfants » dans cette légende de la Yuki Onna, une récurrence dans le folklore japonais mais bien sûr dans le notre aussi. Bien que la société japonaise va – certes, plus lentement – elle aussi vers une certaine forme d’ouverture sur les relations homosexuelles et l’identité transgenre, l’entité politique freine des 4 fers.

La plupart des Yōkais humanoïdes sont genrés de manière très stricte dans le cadre de leurs légendes (Kuchisake Onna, Tengu, Amabie et cætera.) et peinent à sortir de ce cadre même dans leur réinterprétation moderne. Néanmoins, récemment, on assiste à une cassure dans ces interprétations, notamment dans les jeux vidéos ou manga, où les auteurs n’hésitent pas à changer le genre d’un Yōkai pour insuffler un peu d’originalité au mythe.

Je n’ai pas encore vu de légendes donnant la part belle à une histoire entre personnes du même sexe (hors hentai et niches) mais il va sans dire que l’évolution des sociétés devraient nous apporter ce genre d’histoire à l’avenir.

Le club très fermé des stars Yōkais au féminin

De loin, avec des mauvaises lunettes et dans le brouillard, notre invitée du jour pourrait vous faire penser à la Kuchisake Onna mais toute ressemblance avec le fantôme vengeur s’arrête là. Nul désir de vengeance dans la légende originelle de la Yuki Onna, elle se trouve être un esprit des neiges hantant la montagne où vous allez la rencontrer.

Yuki Onna, Kuchisake Onna, Futakuchi Onna et Yamauba forment une sorte de « gang » de Yōkais féminins dans l’inconscient collectif. Elles ne semblent pas œuvrer de pair ou même se rencontrer, mais vous les verrez souvent citées de concert dans des articles ou livres. Si la première cherche à se marier, la seconde cherche à tuer et la troisième surtout à manger – mais à se marier aussi. La dernière, quant à elle, est une sorcière des montagnes qui piègent les voyageurs.

Si on les confond, c’est aussi car leurs légendes ont tendance à se chevaucher… On parle de Futakuchi Onna qui deviendrait Yamauba, de Yamauba et Yuki Onna qui se confondent ou encore simplement on mettra tous les fantômes cruels féminins dans le même panier. Car c’est sans doute-là leur point commun : il ne faut pas leur chercher des noises. La cruauté et la violence à laquelle elles peuvent recourir a de quoi vous effrayer.

Les origines

Nous avons affaire à un Yōkai purement ancestral : les premières mentions de cette femme des neiges se trouveraient à la période Muromachi (1336-1573) selon la Cartographie des Yōkais de Tada Katsumi. Il nous est difficile de vous affirmer plus que cela concernant les origines de ce Yōkai, et pour cause : les versions de la légende de la Yuki Onna sont multiples et toutes différentes.

Si version canon il doit y avoir, c’est sans doute celle de Lafcadio Hearn (texte dans le domaine commun), folkloriste Irlandais ayant acquis la nationalité japonaise à la fin du 19ème siècle mais surtout, ayant effectué un travail monstrueux sur le folklore japonais. En passant, si Lafcadio n’est plus de ce monde depuis bien longtemps, son esprit vit encore notamment au travers du travail de son arrière petit-fils devenu lui aussi… Folkloriste au Japon. Vous pouvez en apprendre plus sur la vie de Hearn dans cet épisode de Pleine Lune en Terrain Yōkai enregistré avec le musicien Neko Flash.


Yuki Onna (雪女), extrait du Hyakkai-Zukan (百怪図巻) (Domaine Public)

La Yuki Onna dans notre monde

Les origines, c’est très bien, mais que risquez-vous en montagne ? Et bien, selon les sites de questions-réponses japonaises : ça dépend. Si certains sont pragmatiques et vous promettent que son existence n’a pas été prouvée, d’autres vous jurent qu’elle se trouve dans votre frigidaire.

Animal mythique dans ce cas ? Le pendant masculin de la Yuki Onna serait le Yéti ou Big Foot, si on en croit la rumeur japonaise. On tombe alors définitivement dans la cryptozoologie et la Yuki Onna pourrait être elle-même considérée comme un UMA : Unidentified Mysterious Animal.

Mais le Yéti et la Yuki Onna ne sont pas les seules affaires mystérieuses liées à la neige et à la montagne… Peut-être cette histoire vous aura-t-elle fait penser à celle du Col de Dyatlov ? On vous conseille deux très bons épisodes de podcast sur le sujet, en commençant par nos collègues du Bureau des Mystères qui y ont dédié un épisode, ainsi qu’à l’excellent Nuit Blanche, lui aussi exhaustif sur le sujet : l’histoire fascinante de cette bande de jeunes retrouvés morts et mutilés au cœur de la montagne sans aucune explication.

Les représentations de la Yuki Onna

Shiva dans sa version Final Fantasy X

Comme beaucoup de Yōkais, la Yuki Onna a sa place dans Nioh, ce jeu dans la veine de Dark Souls… Qui lui aussi a sa propre représentation de la femme des neiges ! Elle n’y porte pas ce nom, mais il paraît difficile de ne pas penser à la Yuki Onna lorsqu’on aperçoit ce personnage. Que ça soit son apparence, le fait qu’elle ne laisse pas d’empreintes dans la neige ou encore ses yeux envoûtants, le répertoire des signes distinctifs de la Yuki Onna paraît bien exploité dans le monde des jeux vidéos.

Les mangas ne sont pas en reste même s’il semble que la dimension érotique de la belle des glaces soit plus exploitée de ce point de vue : dans Yuki Onna to kani wo kuu (je mangerai du crabe avec la Yuki Onna) elle y incarne l’héroïne : une femme froide, qui semble dénuée de sentiments d’où ce surnom de Yuki Onna. Autre exemple dans Yu Yu Hakusho où elle s’appelle Yukina et vient d’une famille de démons.

Yuki-Onna, par Kiki Sugino

Parmi toutes les œuvres qui relataient la vie de la Yuki Onna, il a fallu faire un choix et c’est la série Tokyo Paranormal d’Arte qui nous a aidé en interviewant Kiki Sugino dans son épisode dédié à la femme des neiges. La réalisatrice-actrice nous y expose sa vision de ce Yōkai et les raisons qui l’ont poussé à la représenter ainsi dans sa propre œuvre éponyme : Yuki Onna. Un film tout en douceur et en mélancolie, qui laisse une grande place aux plans longs et poétiques, à ne pas mettre entre toutes les mains, mais à voir absolument si vous aimez les Yōkais.

La Yuki Onna dans la Pop Culture