Yōkai : mais c’est quoi au juste ?

Après plus de deux ans à parler du sujet du Yōkai en long, en large et en travers – mais surtout en digressant – on pourrait croire que placer une petite définition du terme pour le résumer serait tâche aisée… C’est sans compter sur la richesse et le potentiel infini du folklore japonais, qu’il serait terriblement injuste de limiter à des notions simples de fantômes et monstres.

Tentative de définition et introduction à un monde sans limites.

Yōkai par-ci, Yōkai par-là

De quoi parle-t-on lorsqu’on parle de Yōkai ? De manière très simpliste, on parle de surnaturel japonais.

Fantômes, monstres, gobelins, cryptides mais aussi heure étrange où apparaissent les esprits farceurs… Ce qui a trait au surnaturel au Japon est un Yōkai. Sans mettre personne de côté, le concept englobe aussi bien les histoires traditionnelles mises sur papier dans les années 700 que les légendes urbaines apparues il y a seulement quelques années.

Takiyasha la sorcière et le fantôme du squelette, Domaine Public

Victime de son succès, le Yōkai s’exporte de plus en plus et se paye même le luxe de réinterprétations à l’international et conséquence directe : une certaine forme d’imagerie associée au concept a commencé à se développer. À l’étranger, on y associe plus facilement les contes et légendes traditionnelles assorties d’estampes aux tons rouge et beige que des inventions plus récentes comme la Kuchisake-Onna.

Une caractéristique qu’il est déjà intéressant de souligner est la façon dont sa propagation ne se limite pas seulement à la pop-culture, on le retrouve en exposition dans des musées en France (comme à Lyon en 2019) ou en tant que sujet de thèses sur la culture japonaise et ses spécificités. Bien loin de se cantonner au simple milieu des amateurs de surnaturels ou de culture dite « otaku », le Yōkai attire et fascine dans tous les milieux.

Lost in translation

Il y a au moins un consensus dans le domaine : quand on parle du sujet Yōkai, on parle de Japon et surtout de folklore japonais. En revanche, ça commence à coincer lorsque l’on veut dessiner les limites de son domaine et définir qui ou quoi rentre dans le spectre de sa définition ou non.

La définition la plus partagée et acceptée du concept se limite souvent aux termes de la page Wikipédia anglophone, traduite en français :

Les yōkai (妖怪, « esprit », « fantôme », « démon », « apparition étrange ») sont un type de créatures surnaturelles dans le folklore japonais. Il est souvent représenté comme un esprit malfaisant ou simplement malicieux démontrant les tracas quotidiens ou inhabituels.

Wikipédia

L’emphase est à mettre sur les termes « esprit malfaisant ». Les grands gagnants de cette lutte de pouvoir : le Kappa ou l’Akaname – le lécheur de baignoire. Le Yōkai a subi lui aussi l’influence du buzz à tout prix, et ce sont ses représentants les plus bankable que nous connaissons le plus aujourd’hui. Ainsi, nulle surprise d’apprendre que ces derniers ont une langue dont ils se servent pour effectuer divers méfaits…

En plus des spécimens « rigolos », on utilise souvent le terme Yōkai pour définir des apparitions classiques tel que des démons Onis ou le squelette géant Gashadokurō. Autres stars des œuvres d’arts japonaises, les Kamis ou fantômes vengeurs sont généralement traités comme appartenant à une classe différente du folklore japonais, faisant des films Ghibli ou de la J-Horror des outsiders dans le domaine.

Ghibli Museum

Kim Ahlström, CC BY 2.0

Un peu d’étymologie

Comment parler de japonais sans aborder son système d’écriture ? Bien que souvent perçus comme complexes, les sinogrammes nous donnent pourtant énormément d’informations sur le langage et ses interprétations avant même d’aller piocher dans les définitions.

À la base de la base du mot Yōkai il y a donc ses kanji :

妖怪

ようかい

Les définitions japonaises nous parlent toutes d’étrangeté, de fascination, d’apparition qu’on a du mal à croire. Les Yōkais défient l’intellect et les connaissances de tout un chacun, s’immisçant dans notre monde. Les fantômes, gobelins et autres noms d’oiseaux sont évoqués sans donner toutefois de cadre strict.

Dangereux mais attirant… Ce caractère porte une notion d’attirance magique, étrange, de curiosité mais aussi de quelque chose de suspicieux. Vous le retrouvez par exemple dans l’adjectif 怪しい (ayashii) que l’on utilise devant une personne ou un comportement quelque peu discutable. Il sert aussi à illustrer la façon dont une femme pourrait user de ses charmes pour fasciner ou ensorceler.

Le mystère est là ! Mais surtout le fait de ne pas pouvoir croire à quelque chose, et encore une fois une notion de suspicion. On le retrouve par exemple dans 怪物 (kaibutsu) qui signifie monstre dans le sens, une chose ou affaire étrange.

Les catégories de Yōkais

Nous l’avons vu, le spectre est large et il regroupe énormément de potentielles sous-catégories qui permettent de naviguer un peu plus facilement dans ce monde.

Les pas tout à fait Yōkai : Kami

Débarrassons-nous de la polémique tout de suite. Les Kamis sont-ils des Yōkais ? Oui. Non. Ça dépend et ça fait débat.

Les Kamis sont les divinités du panthéon de la croyance Shinto, une croyance parfois considérée comme religion, à la fois animiste et polythéiste. On pense que toute chose peut accueillir en elle un Kami comme des éléments de la nature (arbre, montagne, etc..) ou même des objets ! (on en parle un peu plus bas) Les plus connus sont les Kamis ayant crée le Japon comme Amaterasu ou Susanō, mais le mont Fuji héberge lui aussi un Kami !

Si on s’en tient aux termes stricto sensu de la définition, j’aurais tendance à les inclure dans le vaste univers des Yōkais. Pour comprendre cette vision des Yōkais par chez nous qui a tendance à les exclure, il ne faut pas oublier la perte d’informations lors du voyage de cette culture et de ses supports par delà l’océan, sans oublier les biais culturels qui vont forcément jouer un rôle dans les traductions et interprétations.


Yūrei
 par Sawaki Sūshi (1737) – Domaine Public

Les fantômes divers et variés : Yūrei, Onryō et autres joyeusetés

Autre vision très connue du panthéon des Yōkais, les fantômes japonais sous toutes leurs formes ont peuplé l’imaginaire depuis l’explosion de la J-Horror. The Grudge, The Ring, quelques memes par-ci par-là et hop ! La silhouette blanche aux longs cheveux noirs devant les yeux devient le stéréotype du fantôme vengeur asiatique par excellence.

Est-ce que ce stéréotype est faux ? Non, mais il réduit drastiquement le champ des fantômes et apparitions qui existent dans le folklore japonais ! D’autant diront également que les Yūreis et Onryōs ne font pas partie des Yōkais en se basant essentiellement sur le fait que ceux-ci sont des « revenants ».

Les objets hantés : Tsukumogami

Les meilleurs ! Les plus drôles en tous cas.

Parapluie, lanternes, chaussures… La liste est longue, tout simplement car on considère que dès qu’un objet passe les 100 ans il peut possiblement devenir un Tsukumogami et donc, un Yōkai ! Aucun doute sur ce spécimen, il fait partie de la grande famille du folklore Yōkai et heureusement, ses légendes sont toujours amusantes et au pire des cas, il n’est qu’un vilain farceur.

Leur plus beau représentant est sans nul doute le Karakasa Kozō – parapluie hanté, à qui nous avons très vite consacré un épisode complet dans le podcast La Librairie Yōkai. Un autre que l’on aperçoit souvent est le Bakezōri, sandale (sans s oui, elle se balade seule) traditionnelle de paille de riz tressée qui s’amuse à harceler pour le plaisir. Plus méchant, il semblerait qu’une lanterne soit habitée par Oiwa et cherche à se venger de sa mort injuste.

Les monstres et changeformes : Bakemono

Enfin, la catégorie des métamorphes. Bakemono, Obake, Henge Yōkai… Ils portent bien des noms différents, car il faut s’avouer que c’est peut-être une catégorie un peu fourre-tout. Littéralement, Bakemono signifie « chose, créature qui change » associé donc à la métamorphose.

Vous l’aurez deviné en lisant leurs appellations, ils regroupent les Yōkais qui ont un pouvoir de changer de forme, et il y en a ! Vous en connaissez forcément : Kitsune, Itachi ou encore Tanuki, bien des animaux ont une variante surnaturelle qui possède ce pouvoir. Ça, c’est encore le plus simple, mais dès que l’on fouille un peu plus, comme souvent, ça se complique.

Bakemono serait aussi un synonyme de fantômes (Yūrei) en japonais, et si vous avez un ou une enfant en crèche japonaise, c’est sans doute comme ça que vous avez connu ce terme. S’il distingue bien à l’origine les Bakemono des esprits, revenants ou fantômes, cette deuxième interprétation va au contraire flouer la limite entre les deux, voire la supprimer. Par extension, le terme en vient à aussi désigner les loups-garous, zombies ou autres vampires – les monstres qui auraient eu forme humaine avant transformation, mais également qui ont une origine dans le folklore étranger.

Nukekubi ぬけくひ de Bakemono no e (化物之繪, c. 1700)

C’est encore la catégorie la plus difficile à définir dans le sens où elle couvre une grande partie du lore tout en gardant des limites floues quant au fantômes en particulier – les esprit ont après tout eu forme humain avant de passer de l’autre côté.

Pour aller plus loin

Vous voulez en savoir plus ? Tous les mois, nous explorons le Yōkai sous toutes ses formes dans le podcast La Librairie Yōkai.