Trêve de plaisanteries dans la Librairie, on touche à un membre du top 3 des Yōkais préférés des chasseurs de Yōkais : souhaitez la bienvenue au magnanime Tengu, un Yōkai aux multiples personnalités et à l’historique bien compliqué. Méfiez-vous de son habit de moine, il pourrait bien vous jouer un vilain tour…
Le Yōkai du jour
L’apparence la plus classique du Tengu, c’est un humanoïde à la peau rouge, habillé en tenue de yamabushi (ascète des montagnes) et aux larges ailes de corbeau, mais ça ne serait pas lui faire justice que de ne citer que cette apparence, car le Tengu se décline sous plusieurs formes. La plus commune est la plus classe : celle du Daitengu, un Tengu plus proche de la divinité que son cousin pas si éloigné, le Kotengu. Le Kotengu est plus connu sous le nom de Karasu Tengu et se rapproche bien plus de l’animal et en particulier du corbeau : il lui emprunte entre autres son bec noir, son plumage sombre.
On dénombre bien plus de Tengus que ces deux types, mais surtout des bien plus surprenantes, par exemple ce kimono désormais ramené à la vie par l’énergie débordante de Sojobo, les pierres invisibles lancées par les Tengu, les arbres qu’il fait tomber dans la montagne ou encore les boules de feu qu’il lance par-dessus les rivières pour effrayer les poissons… Le Tengu mâle est multiple.
Vous trouvez ça un peu sexiste ? Il existe aussi des femmes ! L‘Amanozako est certes beaucoup moins connue, mais existe, elle a d’ailleurs le même caractère vaniteux et soupe-au-lait que ses confrères masculins.
Les origines
Comme de nombreux de ses congénères, le Tengu est un Yōkai dont les origines sont étroitement liées à la culture chinoise. Ainsi, même si son apparence n’a rien à voir avec celle de la créature dont elle tire son nom – sorte de tigre-chat-loup qui se plaît à avaler le soleil – il est indubitable que le Chien Céleste japonais est né de l’exportation d’art, entre autre religieux, en provenance de Chine dans le courant du 7ᵉ siècle. À noter qu’à l’époque, on parlait plutôt de Ama Kitsune (Renard Céleste).
Si le Tengu originel était un simple cancrelat qui se plaisait à torturer gentiment les Bouddhistes, il a pris bien des apparences au fur et à mesure du temps. On pourrait presque dire que tout est sa faute… Tremblements de terre, tempêtes, incendies, tout ceci ne serait que le fait des Tengu de mauvaise humeur. Car le Tengu en plus d’être un être surnaturel aux nombreux pouvoirs, est un peu… soupe-au-lait. Sa vanité en particulier est connue et reconnue, le Tengu peut-être bon, mais il est surtout très fier.
Les arbres qui tombent dans la montagne, les boules de feu sur les rivières, les pierres invisibles, les rires lorsqu’il n’y a personne autour de vous ? Tengu. Les viols et pillages en bandes ? Tengu. Un Yōkai omniprésent donc et qui n’est pas toujours de bonne humeur.
Une des particularités du Tengu par rapport à d’autres Yōkais, c’est qu’il est considéré comme un UMA (Unindentified Mysterious Animal) au même titre que la Yuki Onna ou le Big Foot par exemple… Il faut dire qu’on y a cru très longtemps à l’existence du Tengu, cette version magnifié (ou bien au contraire assez bas de gamme) du Yōkai a fait parler d’elle dans le passé et on aurait même aperçu des panneaux de type « Attention au Tengu ! » lorsque le Shogun était de passage au Moyen-Âge.
Encore maintenant, et tout comme la Yuki Onna ou la Kuchisake Onna, on semble vouloir se prouver que ce que l’on a vu une fois dans la montagne n’était pas un Tengu… Vieille histoire, légende ou histoire vraie ? On ne tranche pas encore, mais il est certain que de nombreuses marques à travers le temps nous montrent que la remise en cause de son existence a toujours été ambivalente.
L’histoire la plus intéressante concernant une potentielle preuve de l’existence des Tengu est malheureusement entièrement fausse. En 1822 sort un livre qui raconte comment Torakichi, jeune moine, s’est fait enlever et élever par un Tengu dans la montagne. Si à l’époque les aventures de ce jeune homme avaient intéressé beaucoup de monde, avec le recul, on s’aperçoit que beaucoup d’aventures contées dans le livre sont complètement abracadabrantes. Sans doute l’œuvre d’un garçon qui voulait attirer l’attention sur lui… Et qui a réussi.
Ça, c’est ce que nous avions trouvé pour notre épisode, mais un auditeur attentif nous a envoyé d’autres informations. Dans les peuples mongols et Altaïques turcophone d’Asie centrale, on trouve une mention au « tengri », dont la traduction serait « ciel bleu », « éternel ciel bleu » ou encore « ciel père » daté au VIᵉ siècle avant JC. La racine « ten » se retrouverait dans le chinois et donc le japonais. Selon notre auditeur, cette créature aurait été qualifiée de grand loup du ciel, assez proche de notre chien.
Les représentations du Tengu
Impossible de lister toutes les représentations existantes du Tengu dans la pop-culture : anime, manga, jeux vidéos, films… Encore une fois, on se bat pour lui faire une placer dans nos œuvres d’arts. D’autant que le Tengu est une créature qui a un fort pouvoir de style… Il donne de l’éclat à vos Yōkais sans même faire d’effort.
Vous serez surpris peut-être d’apprendre que Jules Verne évoquait les Tengu dans son Tour du Monde en 80 jours, lors de l’arrivée du héros au Japon… Un peu moins, sûrement, de le retrouver à de nombreuses reprises dans les jeux vidéo, comme dans Nioh par exemple sous la forme de Karasu Tengu ou encore dans Sekiro sous forme de masque. Dans Dead or Alive, il incarne un boss à la peau sombre, et dans Soul Calibur c’est un costume pour Yoshimitsu ! Quelquefois, sa présence tient plus de l’anecdote comme lorsqu’il fait office de trash mob dans le jeu de rôle Pathfinder.
Côté manga, on peut noter 2 apparitions principales. Dans Urusei Yatsura (Lamu) Kurama est une princesse alien… Tengu alors que dans Black Bird, le love interest de l’héroïne n’est rien de moins que le chef du clan des Tengu, avec 8 Daitengu à son service. Des interprétations très libres donc du mythe ancestral du Tengu !
Le temple Yakuo-in à Takao-san
Parmi les 46 montagnes protégées par un Daitengu, il y en a un qui est à portée de Tokyo. Le mont Takao (ou Takao-san) est un mont situé en lisière de Tokyo et très réputé pour la balade qui mène à son sommet, ainsi que la vue qu’il offre. Il héberge également un temple réputé entre autres pour l’omniprésence du Tengu dans ses décorations.
Le Tengu y est si important et gentil qu’il n’oublie pas de donner une maxime quotidienne sur le site internet du temple. Une rapide visite vous prouvera très vite que sur le Mont Takao, le Tengu, c’est du sérieux. L’amicale des chercheurs en Tengu base d’ailleurs son site sur Takao-san. Et n’oubliez pas les omiyage (souvenirs) !
Si vous aimez les Tengu, il y en a qu’il faut absolument aller voir : le grand masque du temple Kurama à Kyoto. C’est lui dont le nez avait cassé sous le poids de la neige… Il est maintenant comme neuf, une bonne occasion d’aller y prier et s’attirer sa bonne fortune !
Les trouvailles de nos visiteurs
- La nouvelle « Story of Tengu » dans le recueil « In Ghostly Japan » de l’inénarrable Lafcadio Hearn. Textes dans le domaine public, on le rappelle. Merci à l’illustrateur Nasino !
- Les antagonistes corbeaux des Samurai Pizza Cats, qui plus on les regarde plus ils nous évoquent des Karasu Tengu… Une jolie trouvaille de Pippeau !