Rokurokubi et Nukekubi, les cous de l’extrême

Parmi les Yōkaux qui ont la côté, la Rokurokubi fait doucement son trou. Mais si, vous la connaissez forcément… Ce fantôme vengeur dont le cou s’allonge la nuit est une star parmi les Yōkais, du genre que l’on voit dans presque tous les rassemblements de monstres japonais.

Les origines

Il ou elle ? Car même si le Yōkai Rokurokubi est très très très souvent représenté sous forme féminine, si on s’intéresse de lui d’un peu plus près, on s’aperçoit que la vérité est loin d’être simple. La nomenclature des Rokurokubi est un peu plus complexe au Japon qu’elle ne peut l’être en Occident. Là où nous avons décidé que la Rokurokubi était un fantôme vengeur dont le cou s’allongeait, il s’avère qu’au Japon, on trouve deux types d’entités sous le nom de Rokurokubi.

Les nobikubi Rokurokubi dont le cou s’allonge (et qui sont exclusivement des femmes quelque soit la représentation de celui-ci) et les nukekubi Rokurokubi dont la tête se détache du corps et qui sont, par définition, asexué.

Non seulement, ils sont physiquement différents, mais leur caractère diffère lui aussi… Là où les nobikubi ne sont que des monstres un peu farceurs qui aiment lécher l’huile des lampes la nuit, les nukekubi sont avides de sang et de chair fraîche. Pas le genre de Yōkais qu’on voudrait croiser la nuit…

L’étymologie même du nom du Rokurokubi est un mystère. Si kubi signifie cou, plus difficile d’identifier rokuro qui peut faire référence par exemple au tour d’un potier, au mécanisme d’ouverture d’un parapluie ou encore au mécanisme de remontée d’un seau dans un puits… Une idée de longueur en tout cas qui rappelle sans nul doute ce long cou.

Deux versions des Rokurokubis… Mais pourquoi pas trois ? Selon Aska, les morts dont la tête est fraîchement découpée pourraient revenir à la vie pour partir à la chasse de cette tête perdue, créant ainsi un troisième et ultime type de Rokurokubi.

Chacun semble ainsi avoir sa version préférée du mythe, Lafcadio Hearn dans son recueil Kaidan choisit de représenter les nukekubi effrayant un ancien samouraï devenu bonze, une version sans doute plus effrayante pour servir les besoins de son récit.

Mise en scène sous forme de dessin animé de la version de Koizumi Yakumo

Mais pourquoi la Rokurokubi est-elle une star ? À une époque où les Yōkais se collectionnaient comme des cartes Pokémon, la Rokurokubi faisait partie des illustrations qu’il se fallait d’avoir. Elle figurait parmi les légendes les plus connues et qui se transmettaient le plus, son long cou et ses nombreuses histoires qui font rire ou peur se sont ainsi transmises à travers le temps pour nous parvenir aujourd’hui. Les raisons de son succès paraissent multiples, mais la métaphore y tient une place de choix : ce long cou de femme ne serait-il pas une parfaite illustration du caractère commère que peuvent avoir certaines femmes ?

Il n’en faut pas plus, pour certains, pour expliquer son succès et la raison pour laquelle on la raconte tant aux femmes : les moraliser. Car on les menace aussi, si jamais elles trompaient leur mari ou participaient à un adultère, elles deviendraient elles-mêmes des Rokurokubi !

Illustration Wikimédia Commons – Rokurokubi par Hokusai

Pour retrouver les origines de notre démon vengeur, c’est du côté de la Chine qu’il faudrait se tourner. Là-bas, un monstre du nom de Hitouban y ferait des ravages. Un corps dont la tête se séparerait en tourbillonnant avant d’aller attaquer de pauvres humains pour leur voler leur sang… On ne peut pas s’empêcher d’y voir une certaine ressemblance, il est vrai.

Si de nombreuses théories existent pour retracer les origines de ce Yōkai, vous serez peut-être surpris de découvrir que de véritables recherches scientifiques sont consacrés au Rokurokubi notamment pour lui trouver une explication « scientifique ». On se pencherait du côté des out of body experiments, rapprochant les Rokurokubi d’une vision lorsque l’on s’approche de trop près de la mort ou encore, le somnambulisme… Devant un corps qui semble sans âme, certains auraient pu y voir là une tête (âme) séparé de son corps (réceptacle).

Nous avons reçu un complément de la part de Christophe Rodo, qui présente le podcast La Tête Dans Le Cerveau consacré entre autres à la neuroscience, mais plus généralement à la recherche scientifique. Si durant notre échange avec Mathieu, nous avons préféré garder le terme anglophone out of body experiments, il nous a expliqué qu’en français, on peut très bien utiliser l’expression « expérience de sortie de corps » ou pour se la péter en soirée « expérience de décorporation ». Il ajoute – et c’est un abus de langage de notre part lors de l’émission – que ce terme ne se limite pas aux expériences de mort imminente, mais qu’elles peuvent aussi arriver à des personnes épileptiques par exemple.

Enfin, la théorie peut être la plus loufoque : celle du syndrome d’Alice au Pays des Merveilles. Ce syndrome, également appelé syndrome de Todd, vous donne l’impression que vos membres ou des objets autour de vous deviennent subitement très grands ou très petits. Difficile de ne pas le rapprocher de la Rokurokubi mais difficile de l’assurer à 100% aussi. Christophe y a d’ailleurs consacré un épisode dans La Tête Dans Le Cerveau !

Les représentations du Rokurokubi

Vous retrouverez très facilement des représentations des Rokurokubis dans la pop-culture sous toutes ses formes, encore une fois très photogéniques, le long cou est une caractéristique que l’on retrouve de manière régulière dans les mangas, films ou anime.

Dans Kanojo ha Rokurokubi, une jeune femme qui est une Rokurokubi vit ses premiers amours à l’époque du lycée, dans Rokurokubi to Futakuchi Onna, deux sœurs Yōkais cohabitent et vivent des situations plus que cocasses… Quelquefois, ils ne sont pas cités directement néanmoins : Orochimaru dans Naruto semble directement inspiré de la nobikubi Rokurokubi, la tribu des Serpentins dans One Piece rappelle, elle aussi, le Yōkai au long cou.

D’autres fois, c’est carrément l’inverse puisque le nom de Rokurokubi est utilisé sans aucune référence au Yōkai : un groupe de musique en Angleterre, une armure de guerre dans le jeu Sarna… Le nom parait faire rêver (bien qu’impossible à prononcer).

Plus loin de la représentation, on trouve aussi de « véritables » occurrences. En Thaïlande, où la tribu des Padaung Karen allonge le cou de ses femmes de manière artificielle en insérant des anneaux de métal de manière régulière afin de l’étirer. Celui-ci peut atteindre jusqu’à 30 centimètres et fait désormais la réputation touristique du lieu.

Gacha Life : Rokuro-kkubi

Même si la Rokurokubi est une star, il est difficile de trouver une œuvre entièrement dédiée à elle. Elle fait souvent office de side-kick et au détour de mes recherches, j’ai mis la main sur ce type de vidéo pour le moins original.

Les Gacha Life sont des vidéos amateurs créés par des utilisateurs de l’application Gacha Life. Ils créent à l’aide de l’application des personnages qu’ils mettent ensuite en scène avant de publier les vidéos sur YouTube. Cette série de vidéos consacrées à la Rokurokubi affichent pas moins de 1,7 million de vues pour le premier épisode. Une interprétation personnelle du mythe, il y est question des Enfers, de curry d’humain et d’Izanami… On vous conseille d’y jeter un œil !

Si le Gacha Life n’est pas complètement lié au Japon, il apparaît rapidement que le lien entre ces deux éléments est fort et de nombreuses vidéos mettent ainsi en scène des légendes urbaines japonaises. Un très bon moyen de s’y frotter d’une manière un peu mignonne… Ou plutôt キモ可愛い (kimokawaii), c’est-à-dire « mignon, mais malaisant quand même ».

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